Note(s) prise(nt) lors de l'exposé de François Curan, pendant la 5 ème séance du séminaire Radx à Rennes, labo INRIA, IRISA, avril 2019.
Pour la cinquième séance de RadX, François Curan, doctorant en droit public dont les travaux portent sur la normativité numérique, donnera une conférence sur le sujet de « la numérisation du raisonnement juridique ». Elle aura lieu le vendredi 12 avril, de 14h à 15h, à l’Irisa de Rennes en salle Pétri-Turing.
Description de la présentation :
« Parler de justice prédictive sans en parler peut sembler être une curieuse perspective rhétorique. Pourtant, il s’agit bien de la démarche qu’on se propose de suivre ici. La plupart du temps, la justice prédictive est envisagée d’un point de vue extérieur et un peu rapide comme l’avènement de l’âge des machines. Des robots diraient le droit, décideraient du juste et de l’injuste. On se trouve alors face à un épineux débat entre partisan-ne-s et combattant-e-s d’une justice numérique. On voit assez vite les termes du débat opposant par exemple neutralité et efficacité de la machine à déshumanisation et dangers pour une activité sociale.
On se propose ici d’aborder la problématique sous un angle plus précis et moins politique, en rupture avec le risque sous-jacent de jugement de valeur lié à ces débats sur l’opportunité d’une justice prédictive. En effet, cette problématique soulève en réalité celle de la numérisation du raisonnement juridique. Or pour en arriver à numériser le raisonnement juridique il est nécessaire d’être au clair avec ce qu’est :
1) un raisonnement
2) présentant un caractère juridique.
Il s’agit précisément du problème soulevé dans le cadre du présent propos. Que signifie numériser un raisonnement juridique ? Que numérise-t-on exactement ? »
Frédéric Rouvière, Professeur de Droit à l'Universite Aix-Marseille et Directeur du laboratoire de Théorie du Droit
Pour F. Curan, il s'agit selon Pr. F. Rouvière « d'anticiper la décision rendue pour “sécuriser” cette décision »
Frédéric Rouvière :
« La justice prédictive ne doit pas se concevoir de façon prophétique mais plutôt comme une analyse rigoureuse des données juridiques en présence. Elle doit permettre de poser le diagnostic le plus objectif et le plus précis possibles sur les chances de gain et de perte du procès en explicitant les raisons proprement juridiques qui sous tendent une telle conclusion. En somme, la justice prédictive est une remise au goût du jour de l'expertise de tout juriste : être capable d'anticiper la marche d'un procès et le poids des arguments échangés. »
« La justice prédictive n'est pas seulement une rationalisation des tâches quotidiennes du juriste, elle doit aussi permettre d'explorer le champ des arguments possibles de façon systématique et de traiter de façon plus objective la jurisprudence. Bref, la justice prédictive devrait permettre d'atténuer les aléas humains dans le traitement de dossier, notamment sur le fait d'oublier d'exploiter des références pertinentes. La justice prédictive doit apporter un débat de plus grande qualité fondé sur une restitution objective des données en relation avec le problème juridique à traiter. La justice prédictive est avant tout l'occasion de mieux travailler et d'optimiser le temps gagné. Elle doit donner de la profondeur au regard du juriste en lui permettant de fouiller profondément dans les bases de données.» source
Sur une approche anthropologique : la numérisation représente un risque de disparition de l'activité humaine ⇒ Voir les travaux d'Antoine Garapon
Se pose alors la question « Qu'est ce que l'on numérise lorsque l'on numérise la décision juridique ? »
Frédéric Rouvière amène la question du choix du modèle juridique et donc des modalités des méthodes dans ce modèle.
⇒ Il existe environ 20 méthodes d'argumentations pour les juristes (syllogisme [majeure, mineure, conclusion],… )
« juridique en présupposant une certaine conception de ce dernier et, bien souvent, celle selon laquelle le raisonnement juridique est justement un art – a craft – dont la maîtrise suppose du temps et de l’expérience1) »
« Le vol doit être puni. Alice est une voleuse, Bon est un voleur. Alice et Bob doivent être puni⋅e⋅s »
⇒ Modéliser le raisonnement juridique c'est numériser ce que doit être le raisonnement juridique
Alors que les juristes ont emprunté à la logique leurs méthodes laissant ainsi croire que le droit fonctionne avec des propriétés qui s'articulent en logique.
⇒ Quels rapports entretiennent le droit, l'informatique, à la logique ?
Modélisation : opérer 2 opérations
Cela pousse à former une chaine :
⇒ Des accords tacites sont masqués
« Le vol doit être puni »
Par exemple d'accord tacites masqués :
« Il n'y a pas norme juridique que le droit est ce qui est dans légifrance »
Intègre t'on la jurisprudence dans les sources du droit ?
En droit français, le droit n'est pas ce que font les juges
Il y a alors tension entre le prescriptif et le descriptif
Intégrer la jurisprudence dans le processus c'est déjà interpréter que le droit se constitue avec la jurisprudence.
« Bob est un voleur, Alice est une voleuse »
⇒ Phase de qualification de la deuxième étape du syllogisme
Elle consiste à passer de l'abstrait au concret, c'est à dire faire un fait dans une catégorie
« Un élément de l'immense complexité du réel » Edouard Glissant
C'est faire entrer un fait dans un nom alors qu'un fait peut recevoir qualifications.
Il s'agit alors d'opérer un choix dans les possibilités de qualification d'un fait. Ce n'est pas une démarche cognitive car cette opération relève du choix.
⇒ Correspondance entre le langage et fait qui est opérée par une autorité =⇒ Acte de volonté, de choix considéré
« L'outil (numérique) fait des choix qui sont en réalité conçus avec la conception de cet outil »
Il faut des moyens pour justifier a posteriori des actes non-cognitifs, c'est à dire pour justifier un choix.
Sur le syllogisme :
« Alice et Bob doivent être puni⋅e⋅s »
il se tient là la problématique du sens que l'on cherche à donner au texte, donc à la normativité du sens.
Il peut y avoir 3 théories d'interprétation :
« Le syllogisme serait un moyen de neutralité conférée par son articulation logique »
<todo>Ref Manquant</todo>
« Selon une thèse largement partagée, le droit et une pratique sociale et les contributions des participants sont complémentaires les unes des autres. Dans ces conditions, le raisonnement juridique consiste d’abord en une interprétation de ces pratiques et présuppose un point de vue interne de la part de celui qui souhaite en rendre compte. Le raisonnement juridique est ainsi conçu comme une argumentation pratique, subordonnée aux exigences de la rationalité car ceux qui participent à la pratique juridique sont contraints de donner des raisons à leur action et ces raisons tissent un réseau de contraintes. Très séduisante, cette thèse qui doit beaucoup à la critique des réalistes par Hart, n’en demeure pas moins justiciable de quelque critique. » Pierre Brunet
« Mais là encore, l’histoire ne s’arrête pas à Hart: sa critique des réalistes a contribué à alimenter la thèse que le droit est d’abord une pratique sociale et que l’analyse du raisonnement juridique doit consister en l’analyse de cette pratique. Alors que dans le passage du fait au langage il n'y a pas de logique » Le raisonnement juridique: une pratique spécifique ? - Pierre Brunet, p.5
Lorsqu'une règle est tacite, elle est alors une règle qui « n'existe pas », notamment dans les démarches référentielles.
« Bon est un voleur » VS « L'État est un voleur »
Il est possible de considérer alors une « pseudo-logique » du syllogisme car il n'y a pas d'opération logique dans choix entre les deux qualifications.
Ressort alors la problématique de la justification a posteriori du choix pour lui intimer un effet de neutralité et d'objectivité.
⇒ Syllogisme = une méthode réputée à résultats certains
On peut alors le présenté comme : un ensemble de choix présentés comme certainement neutres