De la formation à l'usage des empreintes digitales : dermatoglyphes
Source twitter : https://twitter.com/AnaMorphoSci/status/965230629142048770
Certains utilisateurs de ces smartphones qu’il faut déverrouiller par reconnaissance tactile (ex : le TouchID d’Apple) ont parfois rapporté que leur portable avait été déverrouillé avec un autre doigt, voire par une autre personne ! Comment est-ce possible ?
La surface de la peau de nos doigts, orteils, paume de la main & plante du pied n’est pas lisse. Elle présente des crêtes, des sillons, un véritable « pattern » caractéristique de chaque structure et à très haut degré d’asymétrie (Buchwald & Grubskab 2012).
Les formes des empreintes digitales peuvent être classifiées en « famille » : les boucles, les arcs, les verticilles…
Mais pour l’identification d’un individu, notamment informatisée, on utilise des points particuliers que l’on appelle les “minuties” : bifurcations des crêtes, des lignes qui s’arrêtent, des îlots (sortes de « lacs »)…
Les empreintes digitales présentes des points caractéristiques pour les identifiées. il y a entre 8 et 10 points d'identification pour avoir un présomption, mais en France la loi exige 12 points afin de pouvoir authentifier l'empreinte d'un suspect. Ces 12 points s'appellent des minuties: il existe plusieurs sortes de minutie.
La peau présente plusieurs couches et des contenus spécialisés, sa surface est influencée par la sortie des canaux provenant de différentes glandes (sébacées, sudoripares), ces glandes déversent à sa surface la solution aqueuse et lipidique qui laisse les fameuses traces sur les différentes surfaces (et que les enquêteurs peuvent recueillir selon différentes méthodes dépendant des conditions, des surfaces…).
Plus d’une quarantaine de composants sont décrits dans les sécrétions des glandes ! Autant d'éléments qui peuvent rester sur un objet, notamment des éléments hydrophobes
Mais d’autres éléments peuvent également expliquer les reliefs. C’est, entre autres, le cas des réseaux vasculaires, qu’ils soient artériels, veineux et même nerveux sous-jacents et même du développement en maille des tissus conjonctifs (de soutien).
L’apparition des dermatoglyphes se fait vers la 8-10ème semaine de gestation, après l’apparition des bourgeons de membres vers la 6ème semaine
les « motifs » des empreintes digitales seraient définitifs environ vers la 24ème semaine de grossesse (Mulvihill & Smith ; Babler) et ne seraient donc plus influencés par l’environnement intra-utérin à partir de ce moment-là ! Alors une grossesse complète, c’est environ 40 semaines. 24ème semaine, concrètement cela signifie qu’à la fin du 2ème trimestre, les empreintes digitales sont définitives ! Elles vont grandir en taille -croissance de l’organisme oblige- mais les « patterns » seront déterminés.
Et, durant notre vie à l’air libre, des petites lésions cutanées, coupures, brûlures, n’empêcheront pas ces dermatoglyphes de se reformer (ceci n’est plus vrai pour des lésions plus importantes) puisqu'ils sont présents au niveau du derme,une couche plus profonde que l’épiderme.
Y a-t-il une composante génétique à la présence de ces dermatoglyphes ? On se doit de nuancer la réponse. Alors oui, les processus de morphogénèse, notamment des membres, sont non seulement régis par des gènes situant ces membres sur un axe crânio-caudal (les fameux gènes HOX), mais également par une foule de facteurs de transcription locaux, notamment dans la partie distale des membres.
Il est possible pour un individu de n’avoir aucune empreinte digitale : on appelle cela l’adermatoglyphie. Le case-study de Burger (2009) relate le cas extrêmement rare d’une Suissesse de 29 ans fut diagnostiquée d’adermatoglyphie en voulant se rendre en avion aux USA où l’identification par empreinte digitale était demandée par passeport biométrique. Cette pathologie était due à la mutation d’un gène (SMARCAD1), et fut transmise à 10 individus sur 4 générations au sein de sa famille.
L’importance de la composante génétique pour expliquer leur forme est très largement débattue dans la communauté scientifique, compte-tenu de la non-héritabilité de ces caractères.
La génétique, on s’en doute un peu maintenant,constitue certes une mise en place assez « symétrique » côté droit/côté gauche (et encore, c’est très critiquable quand considère les organes! mais soit, restons sur les membres),qui ne suffira pas à expliquer l’image morphologique « chaotique » des dermatoglyphes. Celle-ci est en effet profondément influencée par les facteurs environnementaux intra-utéraux, puisque les empreintes digitales sont déterminées dès la période pré-natale.
Pourquoi sommes-nous asymétriques alors que nos gènes nous présentent, à la base, une copie plutôt basée sur la symétrie concernant les membres ? En fait, certes notre génotype doit former deux membres identiques mais symétriques en miroir,
Cependant les conditions environnementales ne sont pas identiques en tout point de l’organisme - même durant la vie intra-utérine ! Et même entre le petit orteil du pied gauche et le pouce de la main droite, je vais vous expliquer.
Une probabilité pour que deux individus différents partagent une même empreinte digitale ? En 1892, Galton (le tristement célèbre cousin de Charles Darwin) estima cette probabilité à
Les travaux actuels pensent que ce calcul est très surestimé, en évoquant 1 sur 10 puissance 14 (Silverman), d’autres auteurs encore moins. La problématique c’est qu’à ma connaissance, il n’existe pas de preuve mathématique qui ait été rigoureusement calculée sur ce sujet…
Théoriquement : la probabilité est extrêmement faible, mais il est statistiquement possible que deux individus possèdent la même empreinte digitale……. ou alors….
Ou plutôt, devrais-je dire, que L’ANALYSE de ces dermatoglyphes fasse ressortir une correspondance identique entre 2 individus différents ! Et nous allons parler de méthode d'identification, notamment automatisée.
En France, il existe le FAED, le Fichier Automatisé des Empreintes Digitales, créé en 1987. De façon générale, y sont référencés les dermatoglyphes d’individus ayant été mis en cause dans des procédures judiciaires, ou alors
des traces non-identifiées, relevées sur des lieux d’infraction. Ces empreintes sont enregistrées pendant 25 ans (il y a des exceptions à ces délais légaux).
En France (cela varie avec les législations des autres nations), l’analyse se base sur des travaux de Locard datant de 1914 ! Il s’agit d’identifier 12 minuties concordantes et aucune discordante entre une trace et une empreinte.
Comme vous le voyez sur ce document de la police scientifique, il y a bien évidemment des cas-limites, entre empreintes partielles, difficulté d’analyse des minuties, etc…
La machine fait alors un tri et propose des « pré-correspondances », mais c’est toujours à l’enquêteur humain de travailler pour recueillir les données, ordonner la localisation des minuties, confirmer, etc… Pourquoi ? Parce qu’il existe de nombreux facteurs de biais !
Alors comment deux individus différents pourraient-ils déverrouiller le logiciel de reconnaissance tactile du smartphone ? 1er élément : Apple estime que l’erreur d’un faux-positif de son TouchID est de 1 sur 50000. On est déjà bien en-dessous des calculs d’estimations précédents
D’autre part, des chercheurs de l’Université de New York et de l’Etat du Michigan ont développé en 2017 des « master fingerprint », comme des pass qui réussiraient à créer des faux positifs sur ce type de smartphones dans… 65% des cas ! Préoccupant !
Par conséquent,il n’est pas si rare que deux empreintes puissent être considérées comme identiques par un algorithme car de nombreux biais peuvent influer sur l’analyse: la position du doigt ,l’algorithme lui-même, l'état la peau,la vasodilatation due à la température ambiante…
Il est même expérimentalement possible de faire enregistrer à un ordinateur deux empreintes différentes… alors qu’il s’agit exactement du même doigt de la même personne ! Il suffit de multiplier les essais avec des angles d’appui de la pulpe du doigt légèrement différents.
L’on estime alors que la probabilité est trop faible pour que deux individus différents possèdent exactement le même dermatoglyphe, même si elle reste statistiquement possible, cependant les faux positifs sont déjà possibles avec un œil humain averti.